Que sont devenues les femmes-Ents ?

Aucune réponse définitive n'a jamais été donnée par Tolkien. Comme pour beaucoup de choses me direz vous. Toutefois ; il se risque à quelques commentaires dans deux lettres, même s'il prend garde de conserver énormément de distance au travers de ses "je pense" et "je ne sais pas". La lettre suivante a été écrite en 1954 avant donc la première publication du The Lord Of The Rings : "Ce qui leur est arrivé n'est pas résolu dans ce livre... Je pense qu'en fait, les femmes-Ents ont réellement disparu, détruites avec leurs jardins pendant la Guerre de la Dernière Alliance (Second Age, 3429-3441, NDLR) quand Sauron pratiqua une politique de la terre brûlée devant l'avancée de l'Alliance des Peuples Libres le long du Fleuve Anduin. Elles survécurent seulement dans l'art de la culture transmis aux Hommes. Certaines, bien sûr, peuvent avoir fuit à l'est, ou aussi être devenues esclaves. Si certaines ont survécu, elles doivent être devenues bien étranges aux yeux des Ents, et tout rapprochement doit être difficile, à moins que l'expérience de l'agriculture industrialisée et militarisée ne les ait rendues un peu plus anarchistes. Je l'espère. Je ne sais pas".

Notons, au passage, que le référence ci-dessus à "une politique de la terre brûlée" par Sauron rend la destruction des terres des femmes-Ents un peu plus sérieuse et délibérée que dans The Lord Of The Rings, dans laquelle Sylvebarbe dit tout juste que "la guerre était passé par là". L'extrait suivant a été écrit en 1972, dernière année de la vie de Tolkien : "Pour les femmes-Ents, je ne sais pas... Mais je pense que dans The Two Towers, il est clair qu'il n'y aurait pas de réunion pour les Ents dans l'histoire. Mais les Ents et leurs femmes, étant des créatures rationnelles, trouveraient un "paradis terrestre" jusqu'à la fin de ce monde que ni la sagesse des Elfes ou des Ents ne pouvait voir. Bien que peut-être ils partageaient l'espoir d'Aragorn qu'ils n'étaient pas liés pour toujours aux cercles du monde, par-delà desquels il y a plus que la mémoire". Bien que pas vraiment claire (et la traduction n'arrange rien), la référence aux Deux Tours est clairement la chanson de " l'Ent et de la femme-Ent " que Sylvebarbe récite à Merry et Pippin. Le discours d'Aragorn que Tolkien site ici se trouve dans l'Annexe A de l'édition anglaise.

Les passages ci-dessus ne donnent pas d'espoir, mais il reste néanmoins l'énigme de la conversation entre Sam Gamegie et Ted Rouquin au Dragon Vert dans The Fellowship Of the Ring et a été relevée par certains comme une preuve plausible de la survie des femmes-Ents : ""D'accord", dit Ted, riant avec les autres, "Mais qu'en est-il de ces hommes-arbres, ces géants, comme qui dirait ? On raconte bien qu'on en a vu un plus grand qu'un arbre au-delà des Landes du nord il n'y a pas longtemps." "Qui ça, on ?" "D'abord, mon cousin Hal. Il travaille pour M. Boffin à Soucolline, et il va dans le Quartier Nord à la chasse. Il en a vu un." "Il le dit, peut-être. Ton Hal dit toujours qu'il voit des choses et peut-être voit-il des choses qui n'y sont pas." "Mais celui-ci était aussi grand qu'on orme, et il marchait, il faisait plus de sept mètres à chaque enjambée, comme si c'était un pouce." "Alors, je parie que ce n'était pas un pouce. Ce qu'il a vu était un orme, point." "Mais celui-là marchait, je te le dis, et il n'y a pas d'ormes dans les Landes du Nord." "Dans ce cas, Hal n'a pas pu en voir."".

Cette conversation a lieu tôt dans l'histoire, lorsque le ton était encore celui de l'ambiance "conte pour enfant" de Bilbo le Hobbit. A la première lecture, la réaction naturelle d'un non initié est de l'accepter "plus ou moins" (comme une histoire de conte de fées de plus et comme beaucoup de passages obscures si l'on ne connaît ni le Silmarion ni les Contes et Légendes Inachevés). Mais, après en avoir rencontré Sylvebarbe et les siens quelques chapitres plus loin, il est impossible de relire ce passage sans penser à eux. Et cette impression est fondée selon moi : "Il [Sylvebarbe, NDLR] leur fit décrire la Comté et son paysage encore et encore. Il dit une chose bizarre à ce moment-là. "N'avez-vous jamais vu, hmm, d'Ents par là ? " il demanda. "Enfin, pas des Ents, mais des femmes-Ents devrais-je dire." "Des femmes-Ents ? " dit Pippin. "Sont-elles exactement comme vous ? " "Oui, enfin, non. Je ne sais pas vraiment maintenant" dit Sylvebarbe pensif. "Mais elles auraient aimé votre pays, alors je me posais la question." ".

Prises ensemble, ces deux conversations laissent penser que ce que Halfast a vu était bel et bien une femme-Ent, ce qui est plausible. Toutefois, Tolkien n'a jamais explicitement relié cette affaire avec les femmes-Ents. En fait, il ne l'a jamais mentionné. Alors, nous ne pourrons que spéculer. Le fait est qu'une créature "aussi grande qu'un orme" puisse être un Ent ne prouve rien en soi. Celà pourrait indiquer que l'histoire est seulement une invention d'un Hobbit imaginatif (et visionnaire). mais il est également possible qu'un Ent de quatorze pieds de haut (3 mètres 50 environs) puisse paraître gigantesque pour un Hobbit non préparé, et que l'histoire ait été exagérée dans sa narration (Ah Marseille, égarement. Désolé).

Tolkien, dans une discussion sur ses méthodes d'invention, mentionna que l'aventure avec Sylvebarbe n'était pas prévue jusqu'à ce qu'il arrive à ce moment de l'histoire : "J'ai depuis longtemps cessé d'inventer... J'attends jusqu'à ce qu'il me semble savoir ce qui arrive réellement. Ou jusqu'à ce que celà s'écrive tout seul. Ainsi, même si je savais depuis des années que Frodon aurait une aventure avec les arbres loin le long de la Grande Rivière, je n'ai pas le souvenir de l'invention des Ents. J'en suis arrivé à ce point du récit et écrit le chapitre avec Sylvebarbe sans le souvenir de mes pensées précédentes. Et après j'ai vu, bien sûr, que ce n'est pas du tout arrivé à Frodon [mais à Merry et Pippin, NDLR]".

Ce que l'on peut noter, c'est que Tolkien n'avait pas un coeur de pierre : Bill le poney s'échappe, Gripoil a le droit d'aller dans l'Ouest avec Gandalf, et dans les Contes Perdus, écrits le plus tardivement, Isildur est montré beaucoup plus réticent à utiliser l'Anneau que ne le décrit le Conseil d'Elrond dans The Fellowship Of The Ring ; et un moyen un peu tiré par les cheveux est trouvé pour absoudre Galadriel des crimes de Fëanor. Il se peut que, amoureux des arbres comme il l'était (n'oublions pas les dernières fleurs des Deux Arbres originels servirent à façonner la Lune et le Soleil), Tolkien a désiré préserver au moins l'espoir que les Ents et les femmes-Ents puissent se retrouver et faire perdurer la race. Mais les conclusions de ce qu'il appelle "la logique de l'histoire" sont implacables. Dommage...

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